JOHN IRVING Drenière nuit à Twisted River
C'est du bon IRVING, on retrouve ses passions pour le grand nord américain et la lutte qu'il a lui même pratiqué.
"Virginia et Vita "de Christine Orban chez Albin Michel. Virginia Woolf que tout un chacun connaît surtout pour son roman Mirs Daloway porté à l'écran sous le nom de "Hours" vit une passion tourmentée avec Vita Sackeville une aristocrate. Mais on est en 1927 et les moeurs ne sont pas ce qu'ils sont actuellement. Tout est en non dits, Christine Orban dépeint les tourments de Virginia qui par ailleurs souffre de maladie mentale. Elle est à la fois tenaillée et tiraillée par cet amour pour cette femme si différente. La jalousie et la passion sont au coeur de ce roman, il est écrit de façon délicate et presque "ancienne".
Je voulais qu'on entende la musique en te regardant, que l'on ressente la chaleur de ce début d'après-midi dans ce petit village niché dans le sud de la Crète.
Le décor, divin, se prête si bien à cet essai photographique. Je te dis "tu" mais ton âge avancé mérite tout mon respect et c'est timidement que je te demande de poser pour la photo. Tu es assis sur une chaise à l'ombre d'un grand arbre fleuri, un violon entre les mains. Tes cheveux gris, ta barbe longue et emmêlée donnent à ton visage cet air de sagesse qui se dégage dès le premier regard. Tu ne demandes rien mais on reste là à t'écouter, parenthèse dans le temps qui passe.
J'ajuste mon appareil et je te regarde au travers de l'objectif, j'ai enlevé l'auto focus pour bénéficier pleinement de la profondeur de champ pour que ton visage se détache de l'ensemble et que l'on voit que tu souris. Tu as l'air d'apprécier d'être la vedette et j'en profite pour mitrailler donnant la priorité tantôt à la vitesse tantôt à l'ouverture.
L'image reste gravée dans mon esprit comme cet après-midi si chaud. Je n'ai même pas besoin de regarder la photo, j'entends la petite musique qui s'échappe de ton violon.
Tu crois que j'aurais pu m'appeler Narcisse ou la méchante reine?
Miroir! Miroir! Que me fais-tu ce matin? Il y a trop de lumière, à peine sortie du lit c'est un calvaire.
Je préfère la pénombre qui lisse les traits pour que mes yeux verts plantés dans les tiens ne voient que ces yeux justement, oubliant le reste.
La trace de l'oreiller sur ma joue, les cheveux en bataille, ce visage fripé, pas réveillé; je n'ai pas envie de les voir pour le moment. Dans une heure ou deux, il aura repris allure humaine, enfin presque. Au fond, tout cela n'est qu'une question de perception. Mon cerveau analyse ce que l'œil lui renvoie suivant l'heure ou l'humeur. Je souris ou pas à cette image. De hideuse, elle peut devenir flatteuse puis de nouveau se brouiller, être réconfortante lorsque le moment s'en fait sentir puis impartiale dans les instants de doute ou d'interrogation. Elle se décale parfois et me demande un effort pour revenir à la réalité. Oui! Oui! C'est bien moi qui suis là en face de toi.
Un œil sévère comme un inquisiteur Espagnol
Des cernes creusés par les marées successives
Un regard fort comme l'idée qui s'impose telle une évidence au lever du jour
Des joues pleines comme une besace après la chasse
Me satisfont
Les voyages
Les bons repas
Les soirées entre amis
Me satisfont
M’enchante
La mer qu’on voit danser
Le soleil qui se lève
La cime des arbres qui s’agite
M’enchante
M’amuse
Les premiers pas de l’enfant
Son regard étonné
Sa victoire sur l’équilibre
M’amuse
M’émeut
Ton regard sur le monde
Ton envie d’avancer toujours
Ton souhait d’apprivoiser ta destinée
M’émeut
J’aurais toute une après-midi
Une après midi rien que pour moi
Libre de mes gestes, libre de mes envies
Tout un ensemble d’idées s’imposeraient à moi.
Un feu crépiterait dans la cheminée
Alors que le vent et la pluie s’acharneraient contre les baies vitrées
La banquette serait trainée devant les flammes
Mes vêtements seraient troqués contre un pull trop grand et un pantalon de jogging.
Le thé brulant serait posé sur la table du salon
La musique s’échapperait tranquillement des enceintes
Il manquerait juste un coussin que je m’empresserais d’aller chercher dans la pièce d’à côté.
Je le tapoterais, j’enverrais alorsc valser mes chaussons et, dans un geste des plus salvateurs je m’allongerais sur la banquette pour rêvasser toute l’après midi.
Ho joie !
Je sirotais tranquillement un verre d’eau gazeuse sur la terrasse d’un café qui faisait face à la mer. Le temps était divin, une brise légère agitait le parasol qui me protégeait du soleil.
Ils sont venus s’installer à deux tables de la mienne. Elle, jeune, mince, la taille cintrée dans une robe aux tons clairs. Lui, plus âgé, dans un ensemble, jean pull, genre chic décontracté.
Je me suis mise à les observer derrière mes lunettes fumées, curieuse, intrusive. Je ne pouvais les entendre. Elle parlait, parlait. Lui, la regardait et machinalement saisissait le lob de son oreille droite entre le pouce et l’index. Le lob rougissait sous le frottement consciencieux de ses deux doigts. Comme il la désirait !
La question qu’elle devrait se poser, c’est ce que je suis devenu. J’ai disparu de son armoire un jour de grand rangement. Je sais bien qu’elle a hésité avant de me jeter dans un sac où j’ai rejoint des fringues trop petites, démodées ou défraichies.
Mais au fond, peu importe sur quelles épaules j’ai fini ma vie. Ce qui me paraît essentiel aujourd’hui c’est la façon dont je suis né, dont j’ai vécu dans son imaginaire.
Elle m’a vu la première fois sur un catalogue : je prônais, heureux sur le dos d’un joli mannequin. Elle, elle égrainait les jours qui la séparaient d’un mari voyageur, parti travailler au loin. J’ai bien vu son regard s’arrêter sur moi, son esprit s’emballer. Une étincelle venait de s’allumer au moment où elle m’a découvert sur cette page de catalogue.
La graine venait d’être semée, allait-elle pousser ?
Il ne lui fallut que quelques jours pour franchir la porte d’un magasin de laine, son catalogue sous le bras. La vendeuse m’admira à son tour, je n’étais alors qu’un objet virtuel mais elle vit rapidement que de virtuel j’allais devenir réalité. « Et que je choisisse les meilleures laines, les couleurs les plus fidèles, les aiguilles les plus adaptées. Et que je mette tout ça dans un grand sac et que je paie » Tout ça ? Et oui, c’est qu’il y a tellement de laines et de couleurs différentes ! Peu importe, elle s’en fiche du prix, je le vois bien.
Voilà, j’existe, je ne suis qu’un tas de pelotes de laine dans un sac en papier mais j’existe dans sa tête, dans son cœur, dans son corps.
Je fais connaissance avec son appart. Tiens, y a un chien. S’en suivent des mois de création, d’impatience, de rage, d’énervement, d’insatisfaction. Puis au fil du bruit des aiguilles qui s’entrechoquent, enfin me voilà. Je suis un beau pull multi-color avec sur moi représentés tous les pays du monde. Je suis une map-monde à moi tout seul. On est fiers tous les deux quand on sort le soir. Je lui tiens chaud, elle est fière de moi.